Adrien Ernoul, De la psychose maniaco-dépressive au spectre bipolaire : considération critique à propos de l’élargissement de la bipolarité, Faculté de Médecine, Université d’Angers, 2012. Thèse pour le Diplôme d’État de Docteur en Médecine dans la qualification de Psychiatrie, soutenue le 22 octobre 2012, sous la direction du Professeur Alain Mouseler.
Il s’agit d’une excellente thèse sur cette malheureuse pente qu’a une certaine psychiatrie à supprimer le terme de psychose maniaco-dépressive au profit de celui de simple bipolarité, voire de troubles bipolaires ou de “maladie” bipolaire.
Pour établir cette critique et organiser ses propos de façon historique et, en même temps, conceptuelle, l’auteur s’appuie largement sur nos travaux concernant les facteurs blancs et la psychose maniaco-dépressive (cf. pp. 25, 71, 84, 120-121, 131, 184-185 et 206).
L’auteur dit notamment que « la clinique actuelle des systèmes de classifications, se base sur une sémiologie objective, purement descriptive et probabiliste. La rigueur prônée délaisse l’intérêt pour une étude psychopathologie fine et profonde. En ce sens, les débordements émotionnels et thymiques sont vidés de leur sens au même titre que le vécu du patient. Les reproches, adressés au DSM et à la CIM, correspondent à l’athéorisation et à la consensualité. La distinction névrose-psychose est tombée en désuétude, les troubles de l’humeur se trouvent ainsi éparpillés avec le risque d’être détachés du contexte structural, de telle façon, qu’ils n’apportent que peu de repérage psychogénique de l’étiologie et ne permettent pas d’établir des connexions logiques entre les divers facteurs qui interviennent (Arce Ross, 2009).
« La mutation de la dépression et de la mélancolie illustre bien ce saut. Notre revue de l’historique offre un aperçu des définitions nombreuses et variées épousées par la mélancolie au cours des siècles. Encore récemment, quatre catégories différenciaient les états dépressifs : les dépressions névrotico-réactionnelles, endogènes et mélancoliques, psychotiques ou intriquées à un processus schizophrénique et les dépressions organiques. Cette distinction renvoie à une clinique parfois subjective, impliquant le vécu, le sens du symptôme dépressif, en se rapprochant donc de considérations psychodynamiques dont le DSM II s’en faisait encore l’écho (Arce Ross, 2009).
« Mais cet angle de lecture semble peu compatible avec la vision des comportementalistes et neurobiologistes qui cherchent à s’appuyer, non plus sur le fonctionnement subjectif, mais sur des signes plus concrets et manifestes : l’intensité de l’humeur et ses conséquences.
« La mélancolie actuelle implique donc une intensité particulière de la dépression se distinguant d’une structure théorisée par la psychanalyse. De même, la dysthymie supplante la névrose dépressive. La dépressivité n’est donc lue qu’à travers une approche unidimensionnelle (Maleval, 2009) et s’étend donc entre les extrêmes de la tristesse légitime, du chagrin, et de la tristesse pathologique ou épisode dépressif majeur avec une intensité à définir (Carlson, Bromet et Sievers, 2000). La bipolarité de l’humeur devient à son tour un spectre comprenant les variations normales de la thymie jusqu’au cas pathologiques.
« En 2007, Spitzer lui-même, le principal concepteur du DSM III, concède que l’attention inadéquate au contexte constitue un problème inhérent à la démarche des DSM et pose aux chercheurs qui élaborent le DSM V un défi difficile à relever mais qui ne peut plus être ignoré (Maleval, 2009).
« Ainsi, les critères évolutifs incitaient à la prudence et la psychopathologie pouvait servir de “boussole” (Chartier, 2009). Il conviendrait éventuellement de reconcentrer la nosographie sur ces deux éléments » (cf. pp. 184-185).
En effet, comme cette thèse le soutient et comme le montrent mes travaux depuis les années 90, l’un de mes objectifs serait de parvenir à apporter une contribution pour la construction d’une nosographie propre à la clinique psychanalytique. Cependant, les positions disparates, antinomiques et très hétéroclites de certains psychanalystes, qui ne s’accordent pas souvent sur des questions essentielles de la clinique et de la psychopathologie classique et contemporaine, un tel objectif semble devoir être repoussé à un avenir encore incertain.
Cela dit, une nosographie proprement psychanalytique peut être construite et formalisée plus vite que prévu notamment en réaction aux attaques de ceux qui aimeraient voir disparaître la psychanalyse en tant que pratique clinique.
German ARCE ROSS, Paris, octobre 2015.
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