Christine Arbisio-Lesourd et coll., Psychologie clinique : La Psychologie clinique en dialogue, Paris, Bréal, 2002, Vol. II, 303 pages.
Dans ce manuel de psychologie clinique, Christine Arbisio-Lesourd et collaborateurs, s’appuient sur nos travaux, qui rappellent que la mélancolie freudienne est prise entre deux forces antagonistes, à savoir l’anesthésie sexuelle et l’hypersensibilité psychique.
Ils rappellent aussi, ainsi que nous l’avons montré lorsque nous étions en train de construire la notion de facteurs blancs et que nous prenions les premiers textes de Freud sur le sujet, que la mélancolie peut être considérée comme une psychose atypique où règne l’angoisse paroxystique de mort.
En effet, si on suit les premiers travaux de Freud sur la mélancolie, par exemple le Manuscrit E, nous pouvons tout à fait nous demander ce qui provoque la cessation de la production d’excitation sexuelle et si cette cessation ou diminution peut être comprise comme la définition, ou comme une des caractéristiques, de la libido mélancolique.
Cette dernière pourrait être définie pour l’instant comme l’excitation sexuelle négative en tant qu’elle diminue au lieu d’augmenter, comme c’est le cas dans l’hystérie et dans la névrose obsessionnelle. Toutefois, Freud soutient que dans le mécanisme mélancolique grave et psychotique la cessation de l’énergie sexuelle est accompagnée d’une augmentation de la force érotique non-sexuelle, c’est-à-dire sous sa forme psychique, ce qui produit, non pas un conflit entre les objets comme dans la névrose obsessionnelle, mais une transformation radicale des tendances : une force sexuelle diminuée et anesthésiée, sinon annulée, et un amour détaché de sa force vitale ou sexuelle.
À ce stade de ses préoccupations sur l’étiologie des névroses, Freud compare, toujours dans le Manuscrit E, la névrose d’angoisse à la mélancolie sur plusieurs aspects, notamment sur le lien probable entre angoisse et sexualité en tant qu’il peut constituer une réponse au mécanisme de la transformation de l’affect, mécanisme présent dans ces deux types de psychonévroses. Également, sur la distinction entre névrose d’angoisse et hystérie, il s’attache à étudier la source de l’angoisse et ce qu’il appelle le facteur d’ordre physique, ou domaine de la sexualité. De cette étude, il apparaît que l’angoisse provient d’une « excitation endiguée » et d’une « transformation de la tension accumulée » (Freud, « Manuscrit E », Naissance de la psychanalyse, p. 82).
Au regard de l’hystérie, il y aurait des similitudes entre névrose d’angoisse et mélancolie car l’on trouverait chez elles le même mécanisme de transformation de l’affect ou de l’excitation sexuelle. Toutefois, une distinction radicale se manifeste entre elles dans le choix pathologique qui s’impose entre angoisse et amour. Si pour la névrose d’angoisse, la transformation produit évidemment de l’angoisse, pour la mélancolie, la transformation produirait de l’amour sexuellement anesthésié. Leurs mécanismes, en trois temps, se présenteraient comme suit : en premier lieu, il y aurait une accumulation de la tension sexuelle d’ordre physique, dans tous les cas où la décharge de cette tension se trouverait entravée pour une raison physique ou psychique. Ensuite, il s’impose la nécessité d’éviter le déplaisir puisque celui-ci coïncide avec une augmentation de l’accumulation de la tension, comme le note Freud dans « l’Esquisse d’une psychologie scientifique » (p. 331). Finalement, la tension physique accumulée se transforme en une sorte d’affect angoissant produisant la névrose d’angoisse. Cependant, il se peut que, ou bien la tension sexuelle physique ne réussisse pas à se transformer complètement en angoisse et dans ce cas il demeure un reste important, ou bien la tension physique accumulée se transforme en tension psychique, ou bien encore, les deux situations peuvent coexister.
Quoi qu’il en soit, ce ne serait pas l’angoisse mais bien l’amour d’ordre psychique et sexuellement anesthésié qui dominerait le mécanisme de transformation de l’accumulation de tension sexuelle en mélancolie. Toutefois, il faut souligner que dans celle-ci il y a une perte de la tension sexuelle somatique accompagnée d’une augmentation de la tension sexuelle psychique, ce qui nous fait penser à un mécanisme double où les deux forces en question s’opposent et peut-être s’annulent. De ces premières idées, nous pouvons extraire quelques hypothèses. Premièrement, nous pouvons dire que si une libido mélancolique est possible elle devra être cherchée dans le champ de la tension amoureuse sexuellement anesthésiée. Deuxièmement, sous certaines conditions comme celle qui fait dire à Freud que la mélancolie est un pendant à la névrose d’angoisse, l’amour peut être compris comme un pendant de l’angoisse ou plutôt comme un reste d’angoisse. Troisièmement, nous pouvons nous demander si l’accumulation dont il s’agit au départ est de la tension psychique, ou alors si celle-ci est toujours une transformation d’une première tension physique. En tout cas, quatrièmement, il faudrait comprendre un certain type d’amour comme un des facteurs étiologiques majeurs de la mélancolie.
Plus tard, dans le Manuscrit G, Freud relie pour la première fois deuil et mélancolie lorsqu’il énonce son hypothèse de départ, à savoir que « la mélancolie est un deuil provoqué par une perte de libido » (Freud, Naissance de la psychanalyse, p. 93).
Ces questions sont développées dans le volume I de notre Psychopathologie de la mélancolie (pp. 155-159).
German Arce Ross. Paris, juin 2015.
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